Le mystère du fameux « LX » des Proulx
Une fantaisie de l’abbé Antoine Proulx

Par Jean-Pierre Proulx

NOTE : Cet article a paru d’abord dans les Mémoires de la Société généalogique canadienne-française. PROULX, Jean-Pierre. « Les Proulx – Pour en finir avec notre LX! (Partie 2) », dans Figure de Prou, Numéro 15 – 9 septembre 2016, p. 1, 4-5. Nous y avons ajouté ici la référence au mariage de Pierre Proulx à Louise Robineau.

Au Poitou, Jean de Neuville, notre ancêtre, comme Jean de Montmagny, son contemporain, étaient tous deux des Proust, une contraction de provost ou prévôt, titre d’un officier de justice1. Mais sitôt débarqués ici, vers 1670, on les rebaptise en Prou. Sans doute, parce que le « ST » ne se prononçait pas. Et les curés et notaires de l’époque n’étaient sans doute pas du Poitou.

Mais nous voilà des Proulx! Quelqu’un a inventé une belle explication : comme nos ancêtres étaient analphabètes, les notaires et les curés auraient placé une barre au bout de Prou après laquelle l’intéressé ajoutait sa croix. Mais c’est une jolie légende!

Il y a plusieurs années, un jésuite a proposé une explication savante : « …la terminaison « lx » indique un diminutif en “ulus” ou “ellus”2». Intéressant, mais guère convaincant.

Nous avons cherché une meilleure explication et nous croyons avoir trouvé. Ce « LX » est simplement une fantaisie de l’abbé Antoine Proulx, né le 15 juin 1726 à Neuville, fils de François Proulx et de Marie-Thérèse Faucher. Ordonné en 1751, il est nommé curé à Yamaska puis à Terrebonne en 1758. Il meurt à Montréal le 7 novembre 1758; son biographe, J.-B. Allaire3 l’a erronément fait naître à Pointe-aux-Trembles de Montréal, confondant ce village avec Pointe-aux-Trembles près de Québec, aujourd’hui Neuville.

Fantaisie, car le curé qui a rédigé son acte de baptême à Neuville avait écrit « Prou ». Antoine a décidé d’ajouter un « LX » à son nom. Quand ? Peut-être au petit séminaire de Québec dans les années 1640. Cela n’a pu être vérifié. Au début du 18e siècle, observe-t-on, les curés et les notaires avaient commencé à ajouter un « X » à la fin du patronyme Prou. Et la forme Proux finit par remplacer le Prou d’origine. Peut-être parce que bien des mots se terminant en « ou », au singulier comme au pluriel, prennent un « X » à la fin. Ex. : époux, doux, jaloux, etc. Mais un « L »en plus d’un « X » ! Voilà qui est bien curieux.

Pourtant, un examen attentif des originaux des actes répertoriés dans la banque de données du PRDH4 révèle que le curé Antoine signe bel et bien « Proulx » au bas des actes des baptêmes, mariages et sépulture qu’il célèbre. On relève cette graphie pour la première fois le 23 octobre 1751, dans le registre de Yamaska. (On retrouve bien des Proulx dans le registre d’Oka à la même époque, mais il s’agit d’un registre reconstitué à la suite d’un incendie).

Mais la fantaisie du curé Proulx pourrait bien avoir son origine en France même! En effet, la graphie « Proulx » s’y retrouve aussi. Ainsi dans l’acte de mariage du 16 juillet 1748 de Pierre Proulx et Louise Robineau, dans la paroisse de St-Martin de Méon (Maine et Loire), on lit bien « Proulx »5. Il s’agit des ancêtres probables de René Proulx, époux de Marguerite Brunet mariés à Deschambault en 1820. Le curé Antoine Proulx pourrait fort bien avoir appris cet usage par ses contacts avec d’autres prêtres venus de France. C’est une hypothèse plausible, mais invérifiable.

Acte de mariage de Pierre Proulx et de Louise Robineau, 16 juillet 1748.

L’apparition de la graphie Proulx dans les contrats notariés date aussi du dernier quart du 18e siècle. On l’observe pour la première fois, le 29 septembre 1776, chez le notaire Dufault de Montréal, dans le contrat de mariage de Marianne Proulx, fille d’Alexis Proulx, de Saint-Augustin-de-Desmaures. Elle est la cousine d’Antoine dont il célèbre le mariage le lendemain à Terrebonne. Le curé et le notaire se seraient-ils concertés? D’autres notaires vont progressivement suivre l’exemple.

L’examen des registres après 1800 révèle un usage croissant de la graphie Proulx jusqu’à ce qu’elle s’impose définitivement à partir de 1850. L’explication m’apparaît double. D’abord, six prêtres Proulx sont ordonnés entre 1828 et 1860. L’un d’entre eux, Louis Proulx, originaire de Baie-du-Febvre et petit-petit-cousin d’Antoine, est une figure importante. Il est successivement professeur au séminaire de St-Hyacinthe, directeur du collège de Sainte-Anne de La Pocatière, curé d’au moins quatre paroisses, dont celle de la cathédrale de Québec, et finalement grand-vicaire du diocèse de Québec6. Ce prêtre, bien que baptisé sous le patronyme de Proux, signait Proulx. Dès lors, les prêtres contemporains des abbés Proulx ont très probablement et progressivement adopté la graphie « Proulx » considérée comme étant la norme et l’ont imposée dans leur paroisse.

En même temps, les années 1830-1850 marquent précisément le début de l’école publique au Bas-Canada. Les enfants dorénavant alphabétisés ont dès lors adopté la graphie que leur ont imposée leur maître et leur maîtresse d’école.

Il s’agit là, bien sûr, d’hypothèses. À défaut de vérifications empiriques plus poussées, elles ont le mérite d’être logiques et surtout vraisemblables. Pour l’instant, nous nous en contenterons.

Montréal

jean_pierre.proulx@sympatico.ca


Notes

  1. Roland Jacob, Votre nom et son histoire, Montréal, Éditions de l’Homme, 2006 et 2015; Geneanet, http://www.geneanet.org/nom-de-famille/PROUST (consulté le 2 avril 2015). ↩︎
  2. P. Pégon, « Origine étymologique du nom Prou (Proulx) », Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, 21, 2 (1970) 103. ↩︎
  3. J.-B. Allaire, Dictionnaire biographique du clergé canadien-français, 1910, Montréal : Imprimerie de l’École Catholique des Sourds-Muets, p. 451. ↩︎
  4. PRDH (Programme de recherche en démographie historique), Université de Montréal, 1999-2015, www.genealogie.umontreal.ca/fr/ ↩︎
  5. Archives départementales de Maine et Loire, paroisse St-Martin à Méon, 16 juillet 1748. ↩︎
  6. Honorius Provost, « Proulx, Louis », dans Dictionnaire biographique du Canada, [en ligne]. http://www.biographi.ca/fr/bio/proulx_louis_1804_1871_10F.html. (consulté le 11 juin 2016). ↩︎